Carlos, pouvez-vous nous parler du processus de conception derrière la navette Rocq-Express ? Quelles ont été les principales considérations technologiques et environnementales qui ont guidé votre équipe ?
Ça a commencé par un échange avec Monsieur Richard Delepierre, Maire du Chesnay-Rocquencourt, en 2021. A cette époque-là, il n’y avait qu’une ligne de bus qui desservait le Bourg de Rocquencourt, qui est par ailleurs un quartier isolé du reste de la commune par 2 départementales, qui sont pratiquement des autoroutes. Une grande entreprise de près de 1000 personnes allait s’installer à proximité, et il y avait un risque très fort d’augmentation de la circulation. C’est ainsi qu’est née l’idée de mettre en place un service de navettes pour permettre aux actifs de cette entreprise de venir sans voiture. Entre-temps, l'entreprise a abandonné ce projet, mais la population du Bourg de Rocquencourt a augmenté, ce qui justifiait de continuer le projet et qui a abouti au lancement de Rocq-Express.
Un autre élément, à la fois technique et environnemental, qui a motivé le projet a été la mise sur le marché, vers 2018, de vans électriques. Cela nous permettait d’envisager un service 100% électrique et donc, beaucoup plus propre qu’il l’aurait été avec des vans thermiques. Enfin, concernant la technologie d’automatisation de nos véhicules, ce trajet était assez simple pour envisager de le faire avec un véhicule autonome, puisqu’il est pratiquement en ligne droite, mais il exigeait d’utiliser de “vrais” véhicules capables de rouler à la vitesse du trafic, soit 50 km/h. Un autre élément qui a été déterminant a été la mise sur le marché de capteurs à des prix suffisamment faibles pour les utiliser dans une application industrielle, ce qui veut dire 100 fois moins chers qu’ils l’étaient il y a 15 ans quand nous les utilisions dans le cadre de la recherche publique à l’Inria.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées lors du lancement de cette phase d'expérimentation pour Rocq-Express ? Comment les avez-vous surmontées ?
Les obstacles ont été nombreux, parce qu’innover dans la mobilité implique souvent de “casser les codes”, et dans ces codes il y a de nombreux acteurs. Il n’y a qu’une façon de surmonter ces obstacles, ou deux : la pédagogie et la persistance. Il faut rencontrer tous les acteurs, un à un, et leur expliquer ce qu’on envisage de faire. Aujourd’hui on a réussi à “embarquer” tous les acteurs dans ce territoire : de la Ville du Chesnay-Rocquencourt à la Région Île-de-France.
Avec l'accent mis sur la réduction des émissions de CO₂, comment évaluez-vous l'impact écologique du Rocq-Express sur la communauté locale ? Avez-vous déjà observé des changements significatifs ?
L’expérimentation a commencé depuis trop peu pour juger de cet impact. En revanche, un des indicateurs clé que nous voulons mesurer est le nombre de personnes qui vont laisser leur voiture chez eux pour prendre Rocq-Express. C’est principalement de ce report modal que viendra l’impact environnemental le plus important de la navette. Notre objectif est d’aller le plus rapidement possible dans toutes les métropoles en France, en partenariat avec les opérateurs de transport, pour que ce changement puisse se faire à grande échelle.
La navette Rocq-Express est encore dans sa phase d'expérimentation. Quelles mesures utilisez-vous pour évaluer son succès, et quels changements envisagez-vous d'apporter avant le lancement complet ?
Les indicateurs que nous suivrons pour Rocq-Express seront le taux d’occupation de la navette, la régularité de la fréquentation des usagers, la consommation, la vitesse commerciale, et tous les éléments qui nous permettront d’évaluer si la navette peut être pérennisée du point de vue de la demande. C’est uniquement comme cela, que nous pourrons offrir aux opérateurs de transport un outil performant pour augmenter le nombre d’actifs qui utilisent les transports en commun dans les couronnes des métropoles -bloqué à 5% actuellement- et, indirectement, contribuer à la transition écologique à grande échelle.
Cette approche centrée sur les besoins des usagers sur Rocq-Express est avant tout une nouvelle façon de déployer des véhicules autonomes, qui consiste à confronter la technologie à un cas d’usage avec suffisamment de demande pour être pérennisé. L’erreur que tous les acteurs de cette industrie ont commis pendant les 15 dernières années, à commencer par nous-mêmes, a été de croire qu’il fallait “tester la technologie dans des conditions faciles ou bienveillantes”, et que ça permettrait de trouver ses applications. Ce que cela a causé, au contraire, a été de cantonner cette technologie à des cas d’usage où la marche n’était pas vraiment une pénibilité pour les usagers, si jamais la navette n’était pas présente. Cela a empêché de confronter la technologie aux défis de la circulation dans un environnement réel, et donc de s’améliorer. Etant donné l’effort nécessaire pour mettre en place et financer ces expérimentations, et qu’après les tests, elles n’ont pas abouti à des résultats significatifs, ce qui était prévisible dès le départ, l’élan de la navette autonome des années 2010 s’est essoufflé. C’est pourquoi dans le cas de la navette Rocq-Express, nous avons pris un parti opposé : expérimenter d’abord un service avec chauffeurs ayant une demande suffisante pour justifier l’usage à terme de véhicules automatisés, et à travers ce service, identifier les écarts de performance de la technologie pour répondre aux exigences de vitesse commerciale d’un tel service. Ensuite nous intégrerons ces enseignements dans un van automatisé que nous testerons sur le même parcours.
En tant que cofondateur de SuburVAN, comment voyez-vous le futur des transports autonomes en France ? Quelles évolutions réglementaires ou sociétales sont nécessaires pour soutenir cette innovation ?
Nous avons en France la chance d’avoir été pionniers dans les véhicules autonomes, ce qui n’est pas très connu, depuis les années 1990. Grâce à cela, nous avons, à mon avis, un des cadres réglementaires les plus avancés au monde et ce, depuis 2022. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce cadre réglementaire est une force pour la France, parce qu’il est tellement exigeant que l’entreprise qui réussira à mettre sur le marché un Système Routier de Transport Automatisé (nom officiel des véhicules “autonomes” de niveau 4 en France) aura démontré un niveau de fiabilité équivalent à celui d’un train, et par la suite cela constituera une garantie pour s’exporter, en Europe et ailleurs. Évidemment, nous avons l’ambition d’être les premiers à obtenir ce sésame ! En revanche, en ce qui concerne la société, et pas seulement en France mais aussi en Europe, les gens sont prêts à utiliser des véhicules autonomes, cela n’est absolument pas un frein, car nous avons déjà fait tester des véhicules autonomes à près de 50 000 particuliers partout en Europe sans que cela soit un frein, ils posent deux ou trois questions, toujours les mêmes, et ensuite ils utilisent les véhicules sans aucune crainte.
Comment SuburVAN prévoit-elle de gérer la transition vers un véhicule 100 % autonome d'ici 2025 ? Quels sont les principaux défis technologiques ou logistiques à relever ?
En fait, nous n’allons pas gérer la transition vers un véhicule 100 % autonome d’ici 2025, puisque nous l’avons déjà fait. Notre premier prototype roule de manière autonome depuis 2022, et notre premier van autonome a circulé en Grèce entre 2023 et 2024, sur la voie publique. Ce que l’expérimentation avec Rocq-Express nous apprendra sont les conditions de circulation à une plus grande vitesse. L’enjeu désormais est de valider la viabilité économique pour nous lancer dans la certification du système, qui est la marche à monter pour que les véhicules puissent se déplacer sans conducteur ou steward à bord.
Pouvez-vous partager une anecdote ou un moment marquant qui a influencé votre engagement envers le développement de solutions de transport durables comme Rocq-Express ?
En effet, j’ai commencé à travailler à Rocquencourt vers 2003, et, habitant Paris, je prenais une navette de l’Inria à la place de l’Etoile. Le trajet était très rapide, moins de 30 minutes, la circulation sur l’A13 en direction de la province était, et est toujours assez fluide. En revanche, j’ai toujours été choqué de voir que, depuis ce temps-là, tous les matins, sur l’A13 en direction de Paris, il y avait et il y a toujours, systématiquement, 15 km de bouchons et la même chose le soir. On parle de plus de 20 ans de bouchons quotidiens. Et c’est pareil sur tous les axes, à Paris, en province, et dans tous les pays occidentaux. Il fallait absolument faire quelque chose, et c’est là qu’est née SuburVAN.
Pour plus d'informations : https://www.suburvan.com/